Nikanor « Ce qu’on garde en nous » : l’art de sonder l’intime

Nikanor – Ce qu’on garde en nous

À une époque où tout va trop vite, où les albums s’enchaînent et s’oublient aussitôt publiés, Nikanor prend le contrepied avec un projet aussi bref que bouleversant. Intitulé Ce qu’on garde en nous, ce nouvel EP n’est pas une démonstration de force, mais un exercice d’humanité, sans fard ni posture. Un projet qui choisit de ne pas crier, mais de parler doucement pour être vraiment entendu. Dès les premières notes, une chose saute aux oreilles, Nikanor ne cherche pas à impressionner, mais à confesser. Pas dans le sens religieux du terme, mais dans celui du partage sincère, de la mise à nu. Ce qu’on garde en nous, ce sont les souvenirs qu’on n’ose pas dire, les douleurs qu’on maquille, les failles qu’on cache dans le silence. Dans ce projet, la voix devient un vecteur d’oxygène, un moyen de respirer ce qu’on ne sait pas toujours exprimer. Et si ce disque semble humble dans sa forme (moins de 20 minutes, peu de featurings), il est d’une densité émotionnelle redoutable.

Chaque morceau est une pièce d’un puzzle intérieur. Il n’y a pas de hit forcé ici, pas de single trop évident. Seulement des titres qui résonnent parce qu’ils parlent vrai.

« Mes regrets » : point final du projet. Pas un regret plaintif, mais un acte de reconnaissance. Reconnaissance de ce qu’on n’a pas pu faire, dire, devenir. Et donc, de ce qu’on est, tout simplement.

« Alitché (Ma route) » : ouverture introspective où l’artiste fait face à lui-même. La route n’est pas un cliché ici, mais une métaphore de l’endurance mentale.

« Tsunami » : chanson de débordement. Il ne s’agit pas d’un raz-de-marée sonore, mais d’une vague d’émotions : amour perdu, rancunes muettes, échos du passé.

« Dieu dort pas » (feat. Dorty) : une prière d’ami à ami. La présence de Dorty agit comme un miroir : deux voix qui s’interrogent sur la loyauté, la foi, et la fatigue de devoir toujours être fort.

« Lolé » : la douceur brute. On y perçoit les élans d’un amour qui n’est plus, mais qui persiste dans la mémoire. Une lettre jamais envoyée.

Ce qui frappe à l’écoute, c’est la maîtrise du silence. Là où d’autres noient leur sincérité dans des beats trop remplis, Nikanor choisit le dépouillement. Chaque instrument, chaque note, est placé avec justesse. La musique ne surjoue pas l’émotion, elle l’accompagne. Elle laisse le texte respirer, l’auditeur ressentir. Les productions naviguent entre néo-soul, ballade afro-acoustique et RnB éthéré, formant une trame cohérente mais jamais répétitive. C’est un disque à l’échelle humaine, calibré pour l’écoute solitaire, au casque, la nuit. Le véritable pouvoir de ce projet ne réside pas uniquement dans ce qu’il dit, mais dans ce qu’il provoque. Il nous pousse, chacun, à nous poser une question : qu’est-ce qu’on garde en nous, nous aussi ? Qu’est-ce qui n’a jamais été dit ? À qui aurait-on dû parler, s’excuser, écrire ? C’est rare, aujourd’hui, un projet qui nous renvoie ainsi à notre propre intériorité. Et c’est précisément là que Nikanor touche juste : il ne parle pas que de lui, mais à travers lui.

Ce qu’on garde en nous est un projet discret, mais essentiel. Une œuvre de résistance douce, un manifeste du sensible, à contre-courant de la brutalité ambiante. Nikanor y affirme une vérité simple : il n’y a rien de plus courageux que d’être sincère.

À écouter seul, à volume bas, comme une conversation entre l’âme et le silence.